Katia Yakoubi est née en 1986 dans un petit village de montagne en grande Kabylie, en Algérie. Elle est arrivée en France à l’age de trois ans, avec ses parents pour des raisons de santé. Ses origines culturelles kabyles l’ont formée au mélange et au combat cullturels. La Kabylie a été une région à la pointe du combat anticolonialiste pendant la guerre d’Algérie et a toujours revendiqué la diversité culturelle pour ce pays avec la reconnaissance de la berbérité, comme élément fondateur de la nation algérienne au même titre que la culture arabe ou la francophonie.
Son cheminement semé d’embuches en France, à Marseille dans les Quartiers Nord a « parfait » son état d’esprit.
 
Propos recueillis par Alain Barlatier pour le blog PCDMQ
 
Portrait.
 
Une enfance sans papier.
« Ma famille est venue en France pour des raisons liées à la santé de ma mère.
J’ai été tout de suite à l’école dès mon arrivée à Marseille et mes parents ont décidé de rester ici pour favoriser ma scolarité en langue française et mon avenir (je n’avais pas les bases de la pratique de l’arabe en Algérie).
Mon « installation » n’a pas été simple, je ne parlais pas le français, les enfants se moquaient de moi à l’école à cause de mes tenues, de mon accent …
Mon père avait travaillé auparavant en tant que travailleur immigré à la raffinerie de sucre de Saint-Louis à Marseille, il y était ouvrier. C’était avant l’indépendance de l’Algérie, puis il était rentré au village.
Arrivés ici, mes parents ont été rapidement sans-papier et moi aussi évidemment.
Nous sommes restés sans-papier pendant plus de 10 ans, ce qui veut dire que j’ai fait toute ma scolarité au primaire et au collège dans une clandestinité administrative. Nous avons vécu mes parents et moi dans un taudis à la Cabucelle, loué chez un marchand de sommeil, sans aucun respect des normes d’hygiène et de sécurité, sans eau chaude, sans salubrité, sans quittance de loyer, sans chauffage adapté (mon père chauffait sa famille avec le bois des palettes récupérées au Marché aux Puces). Je n’ai eu ma chambre personnelle qu’à l’âge de 18 ans.
Nous avons bénéficié des mesures de régularisation prises par le gouvernement Jospin en 1997 (régularisation pour les personnes vivant en France depuis plus de dix ans).
Je connais plus la France que l’Algérie et je me sens fondamentalement française. J’étais sans-papier et je trouvais cela injuste, je ne connaissais que la France et je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas les « papiers français ».
Lors de ma première tentative d’embauche, alors que je postulais sur un poste de travailleur social (j’avais alors 18 ans, un an après mon bac de Sciences et Techniques de Laboratoire préparé au lycée Saint-Exupéry), j’ai été éconduite parce que je ne possédais pas la nationalité française.
Je suis finalement devenue française une fois majeure, peu après cet événement (en application du code de la nationalité française réformé par Charles Pasqua en 1993).
C’était ma première expérience violente de discrimination. Et ceci explique mon parcours professionnel et militant par la suite. »
 
Aider les personnes, aider les gens.
« J’étais attirée par un métier d’aide à la personne et j’ai abandonné mes études débutées dans le domaine scientifique. Mes parents ne pouvant pas subvenir à tous mes besoins, j’ai postulé sur des postes d’animatrice dans les cités des quartiers nord. J’ai été recrutée par une association dans le 15ème arrondissement pour donner des cours de théâtre aux petits enfants. J’avais écrit une comédie musicale « Ali au pays des merveilles », elle a été jouée en 2008 par les enfants de la Savine au théâtre de « l’Ecole de la deuxième chance ». J’ai voulu devenir directrice de structure et j’ai commencé à préparer mon diplôme de Conseillère en Economie Sociale et Familiale (quand j’étais petite je voyais des assistances sociales venir chez moi).
Les questions matérielles, l’attrait pour les marques de vêtements, de chaussures … ce n’est pas l’essentiel pour moi, même si je sais qu’il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête comme le chantait Balavoine. J’ai vite compris que les choses essentielles de la vie, l’important étaient ailleurs.
Aujourd’hui, je travaille dans les deuxiéme et troisième arrondissements de Marseille qui sont les quartiers les plus pauvres de France et même d’Europe. Je suis travailleuse sociale dans une association, dans un service d’accueil des personnes relevant du RSA, je dois suivre 150 personnes dans leurs démarches.
Ces personnes en difficulté reçoivent des « obligations d’insertion » sous peine de voir leur allocations suspendues, alors qu’elles n’ont pas la possibilité réelle dans la plupart des cas, d’obtenir un travail, tout simplement parce qu’il n’y en a pas, ou alors qu’elles ne possédent pas le minimum de qualification requis. Il y a un manque crucial de formation pour ces gens là, d’actions d’alphabétisation, de remises à niveau, de formations professionnelles.
L’administration et le pouvoir politique exigent d’eux une insertion professionnelle qu’ils ne peuvent réaliser. De plus en plus, le Conseil Départemental ne voit l’insertion que par l’emploi et ne subventionne plus les actions à visé sociale, alors que ces personnes qui désirent travailler ne sont pas dotées des pré-requis nécessaires. D’autres ne peuvent tout simplement pas travailler pour des raisons de santé, de difficultés psychologiques. Elles sont au RSA, car elles ne bénéficient pas de l’Allocation Adulte Handicapée (qui nécessite un budget plus important pour les finances publiques, par ailleurs).
A ce sujet le Conseil Départemental 13 envisage même de faire travailler gratuitement les gens sous couvert d’insertion. Ce qui revient à faire de nouveaux cadeaux aux patrons au détriment des droits et de la dignité de chacun. Je suis vraiment révoltée par l’évolution des demandes des politiques libérales en direction des plus faibles. Ce n’est pas mon employeur qui est en cause mais la chaine des prises de décisions des politiques en cours. »
 
L’engagement.
« Qu’est ce que cela veut dire que militer ?
Si c’est aller dans la rue quand on est en colère, je peux dire que je milite depuis toujours. Mon indignation date de longtemps, mais le mouvement qui m’a marquée le plus, c’est la mobilisation contre le CPE en 2006. J’étais étudiante en SVT à la fac de Saint-Jérôme à Marseille et j’ai intégré les groupes qui préparaient et organisaient les manifs. On bloquait la fac, on discutait beaucoup, on peignait les pancartes … C’était ma première expérience dans une forme d’organisation sociale ou para-syndicale en milieu étudiant. Je n’étais pas encartée et je ne souhaite toujours pas l’être.
Je recherche une ouverture aux autres et je ne veux pas que l’organisation à laquelle je participe soit un lieu clos qui me coupe de mon environnement, comme c’est le cas pour beaucoup de partis. J’ai été bercée par des poètes/chanteurs comme Matoub Lounes, ces rebelles à la soif de liberté et d’humanisme…
Ensuite, j’ai toujours participé aux « grosses manifs » mais je ne savais pas où aller. Je me sentais proche de la gauche, du PS, de ses valeurs, du socialisme.
Avec le recul, je remercie vivement François Hollande de m’avoir donné la niaque pour rejeter ce système qu’il a tant aimé (rires!!).
Je remercie aussi Jean-Luc Mélenchon de m’avoir redonné une confiance polique, de m’avoir ouvert des perspectives pour un changement de société.
Je voulais m’investir en politique et je me disais que le Peuple devait re-prendre le pouvoir. J’en avais marre de voir ces technocrates de tout bord nous dicter notre façon de vivre.
J’ai cherché comment rejoindre la France insoumise, car cela correspondait à ma façon de voir les choses. J’aime bien ce mouvement gazeux sans carte ni obligation de service. La FI me permet de mener des actions de terrain (car je suis une femme de terrain), sans me demander des comptes, dans une situation de confiance. Grace à la FI, j’ai pu mener des actions que je n’aurais jamais pu imaginer ailleurs. Lorsque j’ai voulu par exemple organiser une fête des voisins, le centre social du quartier m’a dit que ce n’était pas possible, je n’avais pas d’association, pas d’assurance etc …
J’adore parler avec les gens de leurs difficultés, de leurs espoirs. J’adore partager avec eux des perspectives pour se sortir collectivement de là, partager un moment autour d’une « Caravane de l’égalité ».
Nous inventons en ce moment une autre forme de politique. Un mouvement qui se dit social, culturel et politique, cela me parle, cela me plaît …
 
Mon objectif c’est de re-donner envie aux gens de faire de la politique, loin des magouilles et des petits arrangements, au plus près de leurs préoccupations. Les quartiers nord sont ceux qui ont eu le plus fort taux d’abstention lors des dernières législatives et cela en dit long sur la place DES « politiques » dans la tête des électeurs. C’est cela que je veux faire évoluer.
Pour y contribuer, j’ai pu récemment former un groupe avec une dizaine d’insoumis prêts à travailler sur le quartier de Kallisté (7500 habitants) avec la méthode Alinsky dans le viseur (méthode de l’éducation populaire).
C’est un quartier aux besoins immenses sur les thématiques concernant la propreté, l’écologie, les transports, le logement…
Je ne considère pas que grandir dans un quartier populaire soit une antidote aux dérives que je dénonce. D’autres sont installé.e.s et sont la preuve vivante du contraire (suivez mon regard). Mais parler de la même chose que les autres habitants, mes voisins, mes proches socialement, avec les mêmes codes de langage, est un atout quand on a l’envie de rupture chevillée au corps.
Ce qui me différencie des élu.e.s qui ont été perverti.e.s par le pouvoir, c’est qu’ils et elles n’ont jamais été convancu.e.s qu’un changement de fond était possible. Ils et elles ont adhéré au système pour en profiter et s’en nourrir.
J’espère rester en dehors de tout cela car je déteste ce système injuste que je veux détruire pour contribuer à mettre en place une société égalitaire. 
 
Je rêve d’une société ou l’égalité serait la règle commune. Je pense qu’avec une sincérité dans l’action et les mots adaptés on peut arriver à casser les discours qui n’ont rien de politique, mais qui sont juste là pour faire vivre de vieilles recettes électoralistes.
Dans les quartiers populaires, j’aimerais partir des groupes sociaux ou culturels existants, les inciter à identifier des intérêts communs à l’échelle du quartier, de la ville, de la société à l’opposé du repli sur soi et du communautarisme…
 C’est ma conception de l’universalisme, du bien-vivre ensemble, de la république sociale. »
 
Marseille, le 26 Juin 2018